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SEPTIEME
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SEPTIEME
22 mai 2013

LES MISERABLES

Tiré de la rubrique "Adaptions" du numéro de Mars de la revue Septième.

« Les galères font le galérien » 

Les Misérables au cinéma c'est une histoire qui nait en 1909 aux Etats-Unis avec Stuart Blackton puis qui continue avec Robert Hossein, Josée Dayan, Claude Lelouch, Bill August et une trentaine d'autres réalisateurs, avant qu'aujourd'hui Tom Hooper (Le Discours d'un roi) reprenne le flambeau. Basé sur la comédie musicale écrite d'après l'oeuvre de Victor Hugo par les français Alain Boublil et Claude-Michel Schönberg, le film se condamne dès le départ en adoptant l'esthétique du blockbuster...

Après dix-neuf ans de bagne Jean Valjean (Hugh Jackman), condamné pour avoir volé un morceau de pain, obtient enfin sa libération conditionnelle. Il erre de village en village jusqu'à ce que la bonté d'un évêque lui permette de retrouver la voie d'une vie honnête et juste. Huit ans plus tard, maire d’une petite ville, il fait à son tour preuve de générosité envers Fantine (Anne Hattaway), ouvrière injustement chassée et tombée dans la plus grande misère. A sa mort il lui promet de s'occuper de sa fille, Cosette (Isabelle Allen puis Amanda Seyfried), élevée jusque là par un couple de taverniers. A nouveau poursuivit par l'inspecteur Javert (Russel Crow), Valjean vivra une vie de fugitif jusqu'à sa mort.

Visuellement le film est entièrement dans la recherche de l'émotion. Les gros plans supposés exacerber les sentiments s'accumulent dangereusement isolant maladroitement les personnages dans leur misère individuelle. L'ajout occasionnel d'une vue en plongée produit un effet déformant, artifice grossier pour représenter l'intolérable visage de la pauvreté. L'absence quasi totale de profondeur de champ donne par ailleurs une impression d'aplat entraînant une perte de réalisme : cela nuit à la représentation d'un roman à la vocation historique, sociale et philosophique où le réalisme est absolument nécessaire au propos. Quant aux décors, ils ne ressemblent guère au Paris du XIXème et les images de synthèse abondent du début à la fin sans subtilité, avec de vertigineux travellings et plongeons de caméras.

La transformation à outrance du texte original des Misérables mène à un premier échange affligeant de ridicule entre les deux protagonistes qui se présentent aux spectateurs. Russell Crowe de sa voix de rockeur nous hurle : «I am Javeeeeert!» et Hugh Jackman lui répond avec une conviction hargneuse: «And I am Jeeean Valjeeeeean!». On ne pourrait faire plus subtile entrée en matière. La musique en elle-même n'est pas désagréable et convaincra sûrement les amateurs du genre, et ce malgré le parti pris de faire chanter tous les acteurs sur le plateau sans post-synchronisation. Mais pour transmettre l’émotion du récit, et tout simplement pour qu'il y ait un récit en l'absence de dialogues parlés, le film s'aide de nombreux récitatifs qui gâchent en partie le plaisir de la musicalité...

Les acteurs principaux se défendent plutôt bien dans la première partie du film et Anne Hattaway est véritablement touchante dans son interprétation de la célèbre chanson « I Dreamed a Dream ». Mais le spectateur est tellement manipulé pour être dans l'émotion (gros plan, maquillage, costume et musique pathétique) qu'il est difficile d'attribuer cette réussite uniquement au talent de l'actrice... En revanche, dans la seconde partie du film, le jeu de Hugh Jackman s'affadit avec son physique et Amanda Seyfried, Cosette à peine ébauchée, déçoit beaucoup. Marius, interprété par Eddie Redmayne, s'avère lui être terriblement surfait et il l'admet lui même dans une interview: "Pour le rôle je n'ai eu qu'à porter des costumes très sophistiqués".

S'il est un épisode de cette histoire que Tom Hooper aurait du se garder de changer parce que sa perfection dans le livre n'a d'égal que sa simplicité, c'est bien la rencontre entre Jean Valjean et Cosette: «En ce moment, elle sentit tout à coup que le seau ne pesait plus rien. Une main, qui lui parut énorme, venait de saisir l’anse et la soulevait vigoureusement. Elle leva la tête. Une grande forme noire, droite et debout, marchait auprès d’elle dans l’obscurité. C’était un homme qui était arrivé derrière elle et qu’elle n’avait pas entendu venir. Cet homme, sans dire un mot, avait empoigné l’anse du seau qu’elle portait. Il y a des instincts pour toutes les rencontres de la vie. L’enfant n’eut pas peur.» Pourquoi avoir fait de cet instant magique de la littérature une simple rencontre aussi banale qu'ennuyeuse ?

Un autre arrache-cœur pour les adeptes de l'oeuvre sera certainement la bouffonnerie insupportable entourant les Thénardiers dont la première apparition est un remake du Sweeney Todd de Tim Burton. Campés par Sacha Baron-Cohen et Helena Bonham-Carter, le couple de taverniers se transforme en deux clowns écoeurants qui n'ont aucunement leur place dans une histoire où ce type d'humour frôle l'indécence.

Quant au message politique de Victor Hugo et au contexte révolutionnaire dans lequel baigne l'oeuvre originale, il perd presque tout son sens dans le film. Très américaines, les séquences révolutionnaires sont certes prenantes à souhait mais au fond on ne sait plus très bien les raisons de ce bouleversement. Les vrais idéaux de l’Insurrection de 1832 et ses véritables acteurs sont oubliés, ce qui abaisse cet événement à une sorte de détail presque indépendant de l'histoire et évoquant caricaturalement plus mai 68 que la fièvre anti-monarchiste du peuple de Paris sous Louis-Philippe.

Certes moins malheureuse que la récente adaptation d'un autre roman de Victor Hugo, L'Homme qui rit, cette nouvelle version des Misérables, bien qu'ayant un parti pris radicalement différent, se heurte tout de même à la barricade de l'oeuvre Hugolienne.

Clara Muller 

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 « La vie, le malheur, l'isolement, l'abandon, la pauvreté, sont des champs de bataille qui ont leurs héros ; héros obscurs plus grands parfois que les héros illustres. »

Les Misérables, Victor Hugo

 

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