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SEPTIEME
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SEPTIEME
4 février 2013

L'HOMME QUI RIT

Tiré de la rubrique "Adaptions" du numéro de Janvier de la revue Septième.

Le mutilé atrophié

Avec son douzième film Jean-Pierre Améris (Les Emotifs Anonymes) ne nous aura pas fait beaucoup rire—ni même pleurer. Son adaptation du roman de Victor Hugo écrit lors de son exil à Guernesey et publié en 1869 est affligeante de platitude. L'oeuvre originelle, entre roman philosophique, politique et romance noire, est un échec à sa sortie mais contrairement à la version d'Améris, elle est au fond d'une richesse incroyable, une des œuvres les plus impénétrables et fascinantes de Hugo. Mutilé puis abandonné à l'âge de 10 ans par des bohémiens appelés les Comprachicos, Gwynplaine est recueilli par Ursus, un forain au cœur tendre qui adopte également Déa, une fillette aveugle. Le visage du jeune homme, marqué d'une cicatrice lui créant un rictus permanent, devient bientôt une attraction de foire; sous le nom de L'Homme qui rit il sillonne le pays en compagnie d'Ursus et de Déa pour se produire en spectacle. Mais lorsque son succès l'amène à la cour et sur les traces de ses origines, l'équilibre de la petite troupe est brisé. 

Malgré le respect de l'histoire et la fin tragique conservée, contrairement à la (magnifique) version muette de Paul Leni qui misait sur une happy end, le film n'approche pas un instant l'extraordinaire profondeur du livre. Les personnages perdent en subtilité et en grandeur: Ursus, personnage haut en couleurs dans le roman et pourtant interprété par un Depardieu dont on pouvait attendre beaucoup, est mutilé par le film encore plus que son protégé. Christa Théret en jeune fille aveugle n'est pas totalement convaincante sans être fondamentalement mauvaise et Marc-André Gondrin dans le rôle titre laisse d'une froide indifférence tandis que Conrad Veidt était bouleversant chez Leni en 1928. Enfin, si la performance d'Emmanuelle Seigner est probante en duchesse au cœur de pierre, son jeu est néanmoins étouffé par des artifices outrés. Costumes, décors et esthétique faussement burtonienne étouffent le film dans le ridicule achevé du gothique hollywoodien. La seconde moitié du film surtout, bascule irrémédiablement dans une parodie aux décalages comiques incongrus. La scène de l'apparition de Gwynplaine au parlement, si elle permet de restituer un magnifique discours empreint de verve hugolienne («Je représente l'humanité telle que ses maîtres l'ont faite. L'homme est un mutilé. Ce qu'on m'a fait, on l'a fait au genre humain. On lui a déformé le droit, la justice, la vérité, la raison, l'intelligence !») transpire l'outrance et la caricature, loin de l'esthétique plutôt réaliste du début du film. Quant à la musique, décalée, inadaptée et d'une légèreté indécente, elle achève de plonger le film dans une sorte d'obscurantisme à l'extrême opposé de l'érudition déployée par Victor Hugo dans son roman. 

Ennuyeuse et pédante, cette version de L'Homme qui rit aura eu pour seul avantage de faire parler à nouveau de cette œuvre méconnue. Dommage que cela soit en la mutilant aussi cruellement que son héros.

Clara Muller 

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«C'est de l'enfer des pauvres qu'est fait le paradis des riches» - Victor Hugo

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