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SEPTIEME
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SEPTIEME
6 juin 2013

WILLIAM SHAKESPEARE'S ROMEO + JULIET

Tiré du numéro de Mars de la revue Septième.

 

La souveraineté de la Religion

A l'occasion de la sortie prochaine d'une nouvelle adaptation littéraire du réalisateur australien, dont la version de Gatsby le Magnifique ouvrira le 69ième festival de Cannes, faisons un petit retour sur sa précédente adaptation d'un classique de la littérature anglophone, Roméo + Juliette. Sorti en 1996 le film fait désormais partie des plus célèbres adaptations cinématographiques de l'oeuvre de William Shakespeare.

 

De Shakespeare à Luhrmann:

Dramaturge, poète et écrivain anglais du 16° siècle, Shakespeare est considéré comme l'un des plus grands de la culture anglaise. Sa maîtrise du langage littéraire et de ses formes poétiques ainsi que sa capacité à représenter différents aspects de la nature humaine en ont fait une des éminence de toute la culture occidentale et son influence persiste de nos jours. Parmi la trentaine d'oeuvres théâtrales que l'on connait de lui, on dénombre onze tragédies, douze comédies et neuf drames historiques. Shakespeare rompt avec le théâtre anglais pieux de son époque qui se composait principalement de pièces allégoriques à visée morale (une morale chrétienne, cela va sans dire). Il choisit plutôt de se rapprocher du public en étudiant particulièrement le fond de la nature humaine. Romeo and Juliet , tragédie en cinq actes en vers et en prose, est une œuvre de jeunesse du dramaturge. On y trouve pourtant déjà toutes les caractéristiques du talent de Shakespeare : l'alternance entre scènes tragiques et comiques, le travail de développement des personnages secondaires et l'usage de sous-intrigues pour complexifier le récit. Ainsi les thèmes principaux de la pièces ne se résument pas à l'amour et à la mort mais englobent également la dualité de l'âme humaine, le rêve, la puissance du destin, ou encore la notion de Temps. Baz Luhrmann, après plusieurs succès au théâtre en tant qu'acteur et comme metteur en scène d'opéra, réalise en 1992 son premier film, Ballroom Dancing, le premier également de sa Trilogie du Rideau Rouge qui le rendra célèbre. En 1996 sort son second film, Romeo + Juliette, et en 2001 la trilogie s'achève avec Moulin Rouge!. La Trilogie du Rideau Rouge n'est pas une trilogie au sens traditionnel du terme. Il n'y a en effet aucun lien entre les intrigues de chaque film. Ce qui lie ces trois films ensemble est une technique de réalisation spécifique, contenant un ou plusieurs motifs en rapport avec le théâtre.

Les spécificités du film :

Transposer l'intrigue du Roméo et Juliette dans une époque futuriste et dans un lieu imaginaire, voilà la grande innovation de Baz Luhrmann. Sorte de quartier chaud d'une Amérique puritaine et violente, le lieu de l'action n'est donc plus Vérone mais Verona Beach, et les familles qui s'y affrontent sont des sortes de mafieux que le prince, devenu chef de la police, tente de contenir. Le texte original, en revanche, bien que raccourci, reste mot pour mot celui de Shakespeare, créant un contraste frappant avec le parti-pris de mise en scène du film. Ce sont Leonardo Dicaprio et Claire Danes qui interprètent le couple mythique, 400 ans après les premières représentations de l'oeuvre originale dans l'Angleterre du 16ième siècle.

L'analyse thématique :

Ce film, d'une richesse incroyable, ne peut être commenté exhaustivement dans les deux pages d'un journal tant il prête à l'analyse. Aux analyses même. Choisir un thème, un angle d'entrée dans son univers, s'impose donc pour pouvoir survoler une infime partie de l'oeuvre. Ce thème sera ici la Religion. C'est, il faut l'avouer, une décision en partie arbitraire ; mais le motif religieux jonche le film de telle sorte que ce choix s'impose finalement presque de lui même parmi les autres motifs du film. Il paraît d'ailleurs intéressant de voir comment Luhrmann renoue avec la notion de puritanisme et de morale chrétienne tandis que Shakespeare s'en éloignait. La religion se manifeste principalement dans les décors et accessoires du film si l'on met de côté la présence d'une figure ecclésiastique importante. On remarque en effet très vite une accumulation de signes chrétiens visuellement toujours mis en avant: crucifix, cierges, anges, représentations de la vierge jusque sur les armes et les costumes en passant par des statuettes, et surtout une statue monumentale du Christ évoquant fortement le Christ Rédempteur de Rio de Janeiro. La posture de ce Christ semble pourtant être moins accueillante que celle de Rio et sa main droite prend même des allures accusatrices ou de juge sur certains plans. Il est possible qu'il y ait dans cette accumulation une allusion à la domination de la religion catholique dans l’Italie de la Renaissance mais la profusion incroyable de ces symboles religieux semble aller au delà de cette simple référence historique.

Le réalisateur ne paraît pas attribuer pas la mort des amants au destin (à des « astres défavorables » comme le dit le texte) mais à une sorte de punition divine. Pourtant le texte ne suggère pas réellement un lien entre la fin tragique et la religion et les critiques de la pièce penchent généralement plus vers une mort due au destin, aux actes manqués, ou plus simplement au hasard. La séquence principale mettant en scène la statue du christ est celle où Roméo tue Tybalt. La confrontation entre Dieu et l'homme pécheur est alors clairement suggérée par la mise en scène : Roméo et le christ se font face dans une mimétique dramatisée par la pluie et l'éclairage blanchâtre. La mort des amants découd alors d'un châtiment divin envers la haine déjà meurtrière deux familles. Par ailleurs le geste du prêtre voulant aider les amants en simulant la mort de Juliette peut être considéré comme découlant d'un péché d'hybris. En effet, comme dans l'épisode de la tour de Babel, la chute attend qui veut égaler Dieu. En s'appropriant un semblant du pouvoir de vie et de mort le prêtre commet une erreur dont il ne prend conscience qu'à la fin en se repentant amèrement. L'autre image religieuse omniprésente est celle de la vierge. Un autel entier lui étant consacré dans la chambre même de Juliette, et son premier échange avec Roméo la qualifiant de « sainte », on peut y voir une volonté d'ériger Juliette comme une « vierge profanée » entrainant sa punition et celle de son amant.

Il y a certainement dans ce choix radical un échos à une société actuelle où la violence est omniprésente et où le déni de Dieu au profit du consumérisme a provoqué des retours extrémistes aux religions. Plus généralement, Luhrmann prouve à nouveau l'intemporalité et l'universalité de Shakespeare et de cette histoire. Tant qu'il y aura des hommes, de telles histoires de haine et d'amour existeront toujours, quelque soit le lieu ou l'époque.

romeo-et-juliette-1997-19-g

 « Les transports violents ont des fins violentes et meurent dans leur triomphe. » W. Shakespeare

Clara Muller

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